Coronavirus : criminalité organisée et tensions sociales dans le sud de l’Italie
Libé, 30 mars 2020
Des voitures de police déployées devant les supermarchés de Palerme. Des enquêteurs chargés de surveiller les réseaux sociaux pour repérer les groupes de discussion où pourraient s’organiser des opérations de pillages. Trois semaines après le début du confinement, les autorités italiennes commencent à redouter l’explosion d’une bombe sociale. Notamment dans le Mezzogiorno, où nombre de personnes vivent de petits boulots, souvent au noir et n’ont donc formellement pas accès aux mesures sociales mises en place par le gouvernement pour amortir le choc de l’épidémie. Près de 3,7 millions de personnes pourraient être concernées.
Jeudi, un supermarché Lidl de Palerme a été pris d’assaut par un groupe de personnes qui ont tenté de sortir sans payer en criant «nous n’avons pas d’argent, nous devons manger» et des tensions similaires se sont produites dans d’autres villes du Mezzogiorno auprès de commerces d’alimentation. «La situation risque d’être explosive», s’inquiète notamment le vice-maire de Naples, Enrico Panini, «nous recevons des tonnes de messages de personnes désespérées qui nous demandent de l’aide parce qu’elles n’ont déjà plus d’argent pour acheter de la nourriture». Dans la cité parthénopéenne, la police a dû intervenir pour remettre de l’ordre lors de la distribution de la soupe populaire. Quant aux services de renseignement, ils ont adressé une note pour avertir Rome que la tension montait dans le Mezzogiorno : «Si la contagion au coronavirus devait se répandre dans le Sud, des sérieux problèmes d’ordre public pourraient se manifester.» Avec la crainte, au passage, que la criminalité organisée ne cherche à tirer profit d’une situation chaotique. « J’ai peur que les préoccupations qui travaillent de nombreuses couches de la population, sur leur santé, les revenus, l’avenir, ne se transforment en colère et en haine si la crise se prolonge« , a déclaré sans ambages, dans les colonnes de La Repubblica, le ministre de la Cohésion sociale en charge du Mezzogiorno, Giuseppe Provenzano.
Le gouvernement réfléchit à un « revenu d’urgence »
Pour tenter de faire retomber la tension, le président du Conseil, Giuseppe Conte, a annoncé samedi soir qu’un fonds d’urgence de 400 millions d’euros allait être débloqué, notamment pour permettre la distribution de bons alimentaires à destination des plus démunis. «Il faut faire vite, plus que vite», s’inquiète le maire de Palerme, Leoluca Orlando, qui ajoute «si les aides du gouvernement national et régional n’arrivent que d’ici quinze jours et qu’il faut encore quinze jours pour les distribuer, nous risquons très gros. L’annonce risque d’être un boomerang. Le mécontentement pourrait se transformer en violence». Concrètement, les villes recevront des subventions en fonction de leur population et leur niveau de richesse. A elles ensuite d’organiser avec les organisations caritatives la distribution de l’aide alimentaire auprès des plus nécessiteux. De nombreuses collectivités locales se sont déjà mobilisées depuis plusieurs jours. Avec le soutien de la région du Latium, la mairie de Rome a par exemple prévu de distribuer des bons repas de 5 euros valables aussi pour l’achat de médicaments.
Pour l’opposition de droite, la mesure gouvernementale n’est pas suffisante. «Trop peu et trop tard», dénonce notamment Matteo Salvini. Du côté des maires proches de la majorité, on explique que les 400 millions d’euros débloqués permettront tout de même «de donner un bon de 200 euros par famille pour arriver jusqu’à Pâques». Mais le gouvernement envisage d’autres mesures pour tous ceux qui en raison de leur travail irrégulier, précaire ou au noir ne peuvent bénéficier des aides sociales prévues au titre de la perte de revenus due au coronavirus (les indépendants par exemple, recevront 600 euros et sans doute des allègements fiscaux). Le Mouvement Cinq Etoiles plaide notamment pour une extension du revenu de citoyenneté, introduit sous son impulsion il y a quelques mois, et qui correspond en fait à un revenu minimum d’insertion de 780 euros octroyé à un peu plus de 900 000 familles. Le gouvernement réfléchit en tout cas à un «revenu d’urgence» étendu à tous les non-salariés (qui, eux, peuvent bénéficier du chômage partiel) d’un montant de 600 euros, voire plus, de manière à intégrer toutes les personnes hors du système et qui n’ont donc pas pu bénéficier des premières mesures prises pour faire face au Covid-19. Le décret pourrait être adopté dans les prochains jours. Mais le temps presse, insistent les autorités locales. D’autant que nombre de soupes populaires ont fermé en raison du confinement des volontaires, notamment des personnes âgées.