France/Belgique : les poukaves se lâchent (II)

Avec le confinement, la délation s’étend
Ouest France, 19 avril 2020 (extrait)

Les appels aux forces de l’ordre se multiplient dans les grandes villes de France. Pour dénoncer les agissements de tel ou tel voisin qui ne respecterait pas le confinement en cette période de crise du coronavirus.

Les coups de téléphone s’apparentent à une certaine forme de jalousie. Ici, c’est celui ou celle qui promène son chien quatre à cinq fois dans la journée qui est vilipendé. Là, celui ou celle qui se rend au supermarché à plusieurs reprises. Ici encore, des jeunes dans les rues, des familles qui se promènent… sont montrés du doigt.

À Strasbourg (Bas-Rhin), la dénonciation de son ou ses voisins représente plus de la moitié des 500 appels quotidiens au numéro 17. À Nancy (Lorraine), en l’espace de soixante minutes, ce sont 22 coups de téléphone de cette nature sur les 27 reçus. À Bordeaux (Gironde), après 16 h, quelque 90 % des appels à la police émanent d’habitants bien peu scrupuleux.

À Paris, des riverains n’hésitent même plus à adresser des e-mails aux forces de l’ordre, avec photos à l’appui de tel ou telle descendu dans la rue se dégourdir les jambes. Cette délation est tellement répandue qu’elle a convaincu la maire du XXe arrondissement d’adresser un courrier à ses administrés.

Si ce phénomène d’un autre temps, qu’on pensait définitivement révolu, touche de nombreuses villes, celles de l’Ouest, de Haute-Normandie, du Centre-Val de Loire, de Mayotte et de La Réunion semblent encore épargnées. Mais pour réellement combien de temps ? Selon un sondage Harris Interactive publié vendredi, 43 % des Français approuvent le signalement du non-respect du confinement à la police.


Frasnes-lez-Anvaing (Belgique) : La police intervient trois fois pour des rassemblements: «Ils buvaient un verre entre amis»
L’Avenir, 19 avril 2020

En plein cœur de la crise sanitaire, une minorité de citoyens n’ont décidément toujours pas compris le message en se rassemblant, en organisant un barbecue entre voisins… La bourgmestre de Frasnes-lez-Anvaing est exaspérée.

Il ne se passe pas un jour sans que la bourgmestre Carine De Saint-Martin soit avertie de comportements qui enfreignent les règles de confinement sur le territoire de Frasnes-lez-Anvaing. Pas plus tard que ce samedi, en fin de journée, la police de la zone des Collines a dû intervenir à trois reprises pour des rassemblements d’une petite dizaine de personnes, principalement des jeunes, à Frasnes-lez-Buissenal et Saint-Sauveur. «Il s’agissait de groupes d’amis qui buvaient un verre dans des endroits tranquilles, à l’abri des regards. Ils se trouvaient sur des bancs près de la maison de jeunes Vaniche, à proximité de la Grand-Place et d’une maison abandonnée. »

Alertée par des riverains et promeneurs, la mandataire frasnoise a pris ses dispositions en contactant le 101 qui s’est ensuite chargé de prévenir les services de police. Des forces de l’ordre qui, après avoir joué la carte de la prévention en Belgique, ne laissent plus rien passer. Avec pour ce type d’infractions des amendes de minimum 250€ (pour chaque personne du groupe).

«Ces rassemblements, formellement interdits en pleine crise du coronavirus, sont malheureusement devenus répétitifs la semaine également. Depuis le début du confinement, il y a un mois, la police des Collines a déjà dressé, rien que sur Frasnes, 27 procès-verbaux liés au Covid-19 (déplacements inappropriés, rassemblements…), » fulmine Carine De Saint-Martin, qui n’est évidemment pas la seule responsable politique à observer des comportements inciviques et irresponsables dans sa commune.

Au-delà des interventions policières du samedi soir, il nous est aussi revenu que des habitants de la chaussée de Renaix, à Dergneau, avaient contrevenu aux règles en organisant samedi un barbecue entre voisins. «J’ai reçu un message de dénonciation mais il était trop tard pour agir,» signale la responsable politique. Si la plupart de ses concitoyens «jouent le jeu», l’attitude d’une minorité d’individus met en rogne la bourgmestre qui pousse un petit coup de gueule.

«Cela me fâche et me désespère. Si l’on veut sortir de cette crise sanitaire, les efforts doivent être faits collectivement en restant, tous, à la maison. Il en va de la santé de ceux qui font fi des mesures strictes de confinement mais aussi des autres. Ce n’est pas parce qu’on se sent en bonne santé que l’on n’est pas porteur du virus,» indique la mandataire, qui en appelle au sens des responsabilités. Car certaines habitudes de consommation soulèvent également bien des questions. «J’ai même été interpellée par un boucher qui avait vendu pour 300€ de viande pour barbecue. Était-ce vraiment pour faire des réserves? J’ai encore plus de doutes quand j’entends qu’un citoyen est venu chercher en boulangerie un gâteau pour vingt personnes.»



Avec le confinement, les corbeaux sont de retour

L’éveil de Haute-Loire, 17 avril 2020 (extrait)

Nicole et Thierry (*) racontent aujourd’hui ce qu’ils appellent leur « mésaventure » avec le sourire. « Mais quand même, ça nous a fait quelque chose ».

Ce couple de Lyonnais à la retraite a découvert, il y a deux semaines, sur Facebook, la photo de sa résidence secondaire dans un hameau du Mézenc avec le véhicule familial immatriculé « 69 » garé devant la porte du garage. « La légende de la publication disait : “voilà comment le confinement est respecté ! Les parasites sont là, il ne faudra pas s’étonner d’avoir des contaminés chez nous en Haute-Loire”, raconte Nicole, encore choquée. Franchement, on en est resté sans voix et je ne vous parle pas des commentaires qui allaient avec… Ça nous a blessés d’autant que mon mari est un enfant du pays et que nous étions là depuis la mi-février : nous ne sommes pas venus nous confiner en Haute-Loire ! ».
La publication a depuis été effacée du groupe Facebook en question qui propose d’ordinaire de belles photos de l’Auvergne. Ces dernières semaines, il a vu fleurir plusieurs posts pour « dénoncer » le retour supposé de « Lyonnais, Stéphanois et Parisiens venus se confiner en Haute-Loire » ou dénoncer des manquements, réels ou supposés, aux mesures de confinement : promeneurs, joggeurs, etc.

La période actuelle marque un retour en force des « corbeaux », ces délateurs qui entendent faire au jour les pratiques de certains. En Haute-Loire, le phénomène est essentiellement présent sur les réseaux sociaux où des individus dénoncent, la plupart du temps sous couvert d’un pseudonyme. La rédaction de L’Éveil a, par exemple, reçu plusieurs messages dans ce sens. « Vous devriez venir (ici) à telle heure. Il y a beaucoup de promeneurs et les règles ne sont pas respectées ». Contacté par mail, un de ces corbeaux explique sa démarche. « Je suis atterré par la bêtise des gens. Ma sœur travaille en milieu hospitalier et voit les ravages au quotidien du coronavirus. Et dans le même temps, je vois passer chaque jour des gens qui se promènent, courent, sortent pour une baguette de pain ou un paquet de cigarettes. Je signale donc tout ça : c’est un acte civique pas un truc de “collabo”. Je ne voudrais pas que des proches tombent malades à cause d’inconscients ».

Alors qu’au niveau national, les appels aux forces de l’ordre ont bondi ces derniers jours, il semble que la situation soit plus calme en Haute-Loire. « Dire que l’on a eu des dénonciations, c’est un bien grand mot, analyse le commissaire Éric Cluzeau. Nous avons des contacts avec les municipalités, les mairies, mais également les bailleurs sociaux, qui nous font remonter la présence de plusieurs personnes. Mais pas vraiment des gens qui appellent pour dénoncer le comportement de leurs voisins ». La police va pourtant prochainement mettre en place une adresse mail. « Ce ne sera pas pour des dénonciations, mais bien pour signaler des choses urgentes en lien avec le confinement ».
Même chose en zone gendarmerie : « Des appels au centre opérationnel, nous n’en avons pas beaucoup comme cela, constate le colonel Jean-Pierre Rabasté. Les gens s’inquiètent surtout de voir leurs voisins faire ci ou ça, du feu… On voit surtout des dénonciations sur les réseaux sociaux ! Et là où il n’y a pas de modérateur, ça dérape souvent assez vite… »