Qui peut encore penser un instant que la situation de confinement actuelle n’est pas destinée à se durcir ? Il suffit d’une part d’observer ce qui se fait dans les pays proches (Italie, Espagne) qui ont plusieurs jours d’avance dans la progression du pic de l’épidémie, et d’autre part de comprendre qu’apparemment tout cela passe mieux petit à petit, comme un mauvais remède autoritaire à avaler goutte à goutte en se pinçant le nez avant de s’y habituer, mais pour notre bien à tous. En tout cas si on pense que la domination travaille au bien de ses sujets.
Après la fermeture des écoles (12 mars) puis des lieux publics « non essentiels » le 14 mars après diminution progressive des rassemblements en leur sein (5000 personnes le 29 février, 1000 personnes le 8 mars, 100 personnes le 13 mars), le recours massif à la technologie, la création d’attestations de sorties limitées le 17 mars, l’instauration de peines de prison pour les violations de confinement répétées le 21 mars, la déclaration de l’état d’urgence (sanitaire) et un gouvernement par ordonnances pendant deux mois le 23 mars, la limitation à une heure de sortie par jour par activité personnelle le 24 mars, le déploiement des militaires de Résilience annoncés le 25 mars, il reste encore de la marge, si on regarde ce qui se fait ailleurs : les couvre-feu (déjà en vigueur dans une centaine de communes et dans les colonies*) à horaires extensibles, la fixation d’horaires restreints des magasins de bouffe (deux heures le matin, deux heures l’après-midi) ou même seulement certains jours de la semaine (beaucoup sont déjà fermés le dimanche) et selon le genre (comme au Panama ou à Canonica d’Adda, en Italie), la diminution des cas possibles de sortie, la fermeture de certaines entreprises moins essentielles, etc.
Deux prétextes sont idéals pour ce faire, vu le degré de peur et de délégation (critique ou pas, cela ne change rien) absolue à l’Etat : la dramatisation des morts quotidiens du covid-19 qui ne cesseront d’augmenter jusqu’au sommet du pic (un pic qui peut durer, l’Italie et l’Espagne ne sont pas encore en descente de courbe, pour donner une idée ; et les régions du Sud de l’Hexagone ne sont encore qu’en début de courbe), mais aussi pointer tous les « comportements irresponsables » qui justifieront ces durcissements, en faisant classiquement porter le poids de la responsabilité des décès sur chacun. Un truc citoyenniste déjà bien connu en matière d’environnement (trie tes déchets !) ou d’autogestion de la dose d’irradiation, depuis Tchernobyl et Fukushima. Une vieille carotte qui fonctionne plutôt bien, jusque dans les milieux radicaux si axés sur le tout collectif, et qui découvrent soudain le sens du mot « responsabilité individuelle »… mais à l’envers : des individus qui se comportent tous de manière conforme, sans unicité, autonomie ni auto-organisation face à n’importe quel problème, ne sont pas des individus. C’est un troupeau.
Ce 6 avril au soir, le ministre de l’Intérieur vient donc de donner carte blanche aux préfets pour « examiner au cas par cas » la « nécessité de durcir les mesures », « là où des signes de laisser-aller se feraient jour et où ces règles viendraient à être contournées » (histoire aussi de reprendre la main sur les maires zélés). Le cas emblématique cité par le ministre du terrorisme d’Etat est celui des citoyens qui découvrent l’horreur du jogging quotidien. Mais qu’on ne s’y trompe pas, cela concernera d’autres domaines aussi, et la fameuse question du « jogging » (initialement la possibilité de se dégourdir les jambes tout court une heure par jour, y compris non-sportivement) présente surtout l’avantage de pouvoir raccourcir les distances de circulation autour de chez soi (actuellement 1km), en renforçant également toute possibilité de vérifier policièrement la domiciliation.
Heureusement, tout le monde ne semble pas encore disposé à respecter le Grand Confinement (pour des motifs variés), et ces nouveaux durcissements, s’ils calmeront peut-être ici une partie des réfractaires, augmenteront ailleurs la tension avec la police et le voisinage délateur. Plus chacun se confine selon les modalités de l’Etat, plus il isole les réfractaires combatifs, et cela relève également de la responsabilité individuelle. Briser le confinement pour continuer à alimenter la guerre sociale, chacun chacune à sa manière en prenant bien sûr les précautions d’usage (masqués et gantés), est alors non seulement une manière de faire vivre ses propres perspectives, mais aussi d’être solidaires avec tous les autres qui ne cèdent pas.
* A Mayotte le 24 mars, en Guyane le 25 mars, en Polynésie française le 27 mars, puis en Guadeloupe et en Martinique le 2 avril (entre 20 heures et 5 heures du matin).