« Agir pour empêcher que cette dystopie continue d’exister »

[Malgré quelques désaccords comme la survalorisation de la « socialité » en soi (qui est bien souvent une autre forme d’aliénation) ou sur le fait de proposer une date collective et symbolique de rupture de confinement (ici le 25 avril italien, jour pourri de fête nationale initialement lié à la « libération contre le fascisme ») – en lui préférant de loin une multiplication d’actes individuels imprévisibles –, nous avons trouvé pertinent de reproduire le texte suivant comme contribution à la situation en cours. Il présente au moins pour le contexte francophone l’intérêt de poser clairement quelques points de base : d’une part refuser le chantage à l’obéissance au nom de la complexité ou de l’urgence, pour continuer malgré tout d’agir dans la rue contre la domination ; d’autre part en proposant de s’en prendre aux causes du désastre au nom de la vie que nous voulons, plutôt que d’accepter cette survie (à présent virusée et auparavant pas mieux).]

Proposition pour un 25 avril qui soit libératoire
traduit de l’italien de Inferno Urbano, 11 avril 2020

Depuis quelques semaines, près de 3 milliards de personnes sont assignées de force à résidence. En Italie, comme dans d’autres parties du monde, les premières personnes qui se sont rebellées contre l’aggravation de leurs conditions de survie, les prisonniers dans les taules, ont été réprimées avec des morts et des blessés. Alors que la science propose des thèses qui s’opposent entre elles, une partie de la communauté scientifique affirme que la période de quarantaine, y compris en phases alternées, durera au moins jusqu’à la fin de l’année prochaine. L’État, de son côté, a déjà choisi quelle vérité propager pour justifier les mesures qu’il adopte. L’isolement forcé à la maison est prolongé, la seule proposition-contrainte avancée pour la population est d’obéir et d’attendre en se surveillant les uns les autres et en s’auto-surveillant… Mais jusqu’à quand ?

Pour l’instant, la fin de ces mesures a été renvoyée au 13 avril, mais il y aura très certainement de nouvelles prolongations [c’est à présent le 3 mai en Italie].

Le 25 avril est la fête de la libération. Libération pas seulement du nazi-fascisme, mais de toute forme d’oppression. L’oppression de vivre dans un monde où les déplacements sont en permanence contrôlés et surveillés, avec des barrages routiers, des soldats partout, des drones, des caméras de surveillance, des bracelets électroniques. L’oppression d’être considéré individuellement comme des infecteurs [untori, propagateurs de peste au XVIIe siècle en Italie] si on ne respecte pas les lois et qu’on pense que la socialité et la possibilité de sortir ne peuvent être sacrifiées en échange de la certitude de la survie. L’oppression de vivre dans la terreur de l’invisible, parce que le problème n’est pas le virus, mais les conditions écologiques et sociales dans lesquelles il se diffuse.

Le problème est le changement climatique qui modifie les cycles naturels, c’est la concentration urbaine, c’est le nivellement de l’alimentation et des réponses immunitaires, c’est la vitesse des déplacements sur toute la surface de la terre. On nous a dit que nous devions accepter ces problèmes, troquer notre obéissance en échange de certaines assurances. Ces assurances ont disparu…

Ce virus, après le désastre économique et environnemental, est le dernier désastre en date d’une société qui nous a été imposée, une société basée sur la domination, l’accumulation quantitative et l’exploitation de la planète et des animaux, humains ou non.

C’est pour cela que nous proposons – avec l’espoir d’être dépassés par les événements – qu’on reprenne la rue le 25 avril dans le plus d’endroits possibles pour à nouveau nous rencontrer, en affrontant la peur, en combattant la surveillance diffuse, en attaquant la rhétorique déresponsabilisante qui nous voit tous vecteurs de contagion. Avec l’intention que ce jour ne reste pas isolé, nous voulons nous évader de la quarantaine, le faire en acceptant les conséquences de nos actions, en nous couvrant le visage pour le libre-choix de prendre soin de soi et des autres, et aussi parce que c’est de la liberté de l’anonymat que pourraient surgir d’autres choses autrement impensables…

Rester des spectateurs passifs du désastre en acceptant l’enfermement n’empêchera pas que se produisent de nouveaux désastres, mais ne fera que prolonger l’agonie que nous vivons déjà. Voulons-nous encore faire confiance et obéir alors que le monde continue à être un lieu dans lequel la vie est niée entre contrôle total, socialité détruite et drame écologique ? Ou bien identifier les causes de ce désastre, cesser d’obéir et agir pour empêcher que cette dystopie continue d’exister. Et vivre enfin des possibilités de libération.