Mamoudzou (Mayotte) : combats de boxe, gendarmes ko et pillages

Nuit d’émeutes urbaines à Mamoudzou
Mayotte La Première, 3 mai 2020

La nuit a été plus qu’agitée dans la commune de Mamoudzou. Cette fois, la préfecture a décidé de répondre aux organisations de Mrengué sauvage [ou moringue : combats de boxe traditionnels, notamment populaires en période de ramadan]. Ils se déroulent depuis plusieurs jours malgré le confinement et le couvre-feu en place sur l’ensemble du territoire.

Les scènes les plus virulentes se sont déroulées à Tsoundzou. Sur place, les forces de l’ordre ont été mobilisées ‪de 21H samedi soir à 3H30 du matin ce dimanche‬. Le bilan de la nuit énumérée par le lieutenant colone Fihma en dit long sur le scénario à Tsoundzou. 48 gendarmes mobiles déployés. Plus de 300 tirs de grenades Lacrymogènes. 11 tirs de LBD. Des grenades de désencerclements utilisées.

L’appui de deux véhicules blindées de la gendarmerie. Bilan uniquement pour la gendarmerie. Pour le bilan humain, neuf gendarmes ont été blessés. Du côté de la police, un blessé est à déplorer. Il s’agit de Jean Marie Cavier, le directeur territoriale de la police nationale à Mayotte. Il a été pris pour cible par des jets de pierre alors qu’il effectuait des sommations pour disperser les individus.

En face, suite à la dispersion du Mrengué au niveau du terrain de pétanque, 200 personnes et « une pluie ininterrompue de pierres  » font face aux forces de l’ordre. La route nationale qui traverse le village porte encore, ‪ce dimanche matin‬, les stigmates des violences de la nuit. On y retrouve, hormis les impacts de pierre, des poubelles, des bennes pour les tris sélectifs ou encore un panneau solaire. Tout est incendié. Dans la nuit, le mobilier incendié a permis d’ériger des barrages. « La situation était pressante et violente » selon la gendarmerie.

Au milieu de ces barrages, on retrouve les deux cents personnes qui affrontent les forces de l’ordre. On trouve également le Somaco [supermarché] du village. Ouvert à coup de masses, il va être littéralement pillé. Selon des témoignages recueillis sur place, un camion est venu récupérer la marchandise volée. Les propriétaires estiment les pertes à 50 000 euros. Le magasin devrait définitivement fermer ses portes.

« C’est le même mode opératoire qu’à Kawéni » nous explique un élu de la ville de Mamoudzou. « L’impression que tout est prémédité » ajoute-t-il. « L’objectif principal est de piller les magasins en organisant des mrengués pour attirer les forces de l’ordre. Une fois arrivées sur place, elles sont caillassées pour faire diversion et permettre un autre groupe de s’attaquer aux commerces ». La mairie de mamoudzou a décidé de porter plainte contre les parents des personnes déjà identifiées.


À Tsoundzou, “c’était la guerre”
Mayotte Hebdo, 4 mai 2020

C’est un déferlement de violence auquel ont fait face les forces de l’ordre durant la nuit de samedi à dimanche. Des centaines de jeunes rassemblés autour de quatre mourengué ont convergé, principalement à Tsoundzou pour mener une véritable “guerre” selon les mots de policiers.

“Ils veulent tuer un flic, c’est ça l’objectif et ils n’arrêteront pas de sitôt.” Bacar est abasourdi. Devant un Somaco dévasté, le policier municipal observe le ballet de tractopelles et autres souffleuses appelés pour redonner un semblant de propre à la route nationale qui traverse Tsoundzou 1. Rien à faire cependant ; le goudron encore fumant portera longtemps les stigmates de la veille. “C’était la guerre, vraiment, c’était un déferlement de violence inouïe”, se souvient un policier présent durant les quelques sept heures qu’ont duré les émeutes. Mais ce samedi soir, les forces de l’ordre savaient à quoi s’attendre. Enfin plus ou moins.

“On a eu une information dans la journée selon laquelle il y aurait quatre mourengué différents et simultanés dans la soirée sur Mamoudzou avec la possibilité que les différents groupes se retrouvent”, explique ce même policier. “Nous avons alors décidé de monter une opération dans la plus grande discrétion”, expose-t-il encore, considérant que le préfet, le général de gendarmerie et le directeur territorial de la police nationale “avaient la volonté de frapper fort, de garder le terrain et d’empêcher de rentrer dans une démarche instaurée de bocage de l’île”. Envoyer un message aussi, aux organisateurs de mourengué qui virent désormais quasi systématiquement à l’émeute.

Samedi soir n’a donc, comme prévu, pas dérogé à la règle. Rond-point Baobab, Doujani, mais surtout Tsoundzou, marqué par le pillage acharné du Somaco, ont ainsi été le théâtre d’affrontements menés par des centaines de jeunes. Une présence massive d’émeutiers qui n’aura cependant pas fait reculer les quelques trois escadrons de gendarmes mobilisés pour l’opération, assistés par des policiers privés pour certains de leur jour de repos. “Nous avons fait face”, martèle l’un d’eux, non moins choqué par les évènements qui lui rappellent ceux auxquels il a pu assister sur l’île en 2011. “Nous avons répondu, mais ça n’a pas plus”, ajoute-t-il. Il faut dire que les forces de l’ordre, avec quelque 400 grenades tirées, ont eu la main lourde dans la riposte. Tenir le terrain, à tout prix, l’ordre était clair et le directeur de la police nationale sur le territoire en a fait les frais. Une pierre est venue le blesser à la jambe ce qui lui a valu un aller pour les urgences afin de se faire recoudre. Neuf gendarmes ont également été légèrement blessés. Dans le camp d’en face, le bilan médical n’est évidemment pas connu, mais une interpellation est à noter. “D’autres doivent suivre, les investigations sont en cours”, assure la police. Devant le magasin saccagé de Tsoundzou, ce dimanche, ils étaient peu à croire que le cycle de violence aurait pris fin avec le pic de la veille. “C’est comme un virus”, marmonnait ainsi Bacar derrière son masque.