Mise en quarantaine : l’intervention des flics sanitaires à domicile

[Pour rappel, avec l’arrivée de la phase 2 comme appelée plus justement en Italie à la place de l’illusoire « déconfinement », un contrôle global supplémentaire de la population va suivre, notamment avec des applis smartphone et des bracelets électroniques, mais aussi avec des enquêtes sanitaires et sociales poussées basées sur des interrogatoires (en te demandant de balancer directement qui tu as bien pu fréquenter, ou en le déduisant par eux-mêmes si tu acceptes de leur parler). La question prioritaire pour l’État est en effet celle de la mise en quarantaine forcée de tous les cas testés positifs à l’écouvillon (dans le nez) ou au fibroscope (dans les bronches), mais aussi de traquer leurs contacts à l’envers pour les tester à leur tour et les rajouter ainsi aux mesures d’enfermement. Sans parler de la possible mesure « refus d’être testé = quarantaine forcée », par mesure de précaution d’État en introduisant la notion de « potentiellement contaminant », ou du croisement fichier médical/fichier policier à fin de contrôle (en Italie la violation de quarantaine c’est théoriquement jusqu’à 12 ans de prison, comme une tentative de meurtre). Lors de la longue conférence de presse du 19 avril, le Premier ministre a pour l’instant annoncé que la quarantaine se ferait soit à domicile (avec des conséquences sur les autres y vivant, les voisins etc.) soit dans des hôtels, comme ceux du déjà bien connu collabo de la machine à expulser Accor. Les mesures policières afférentes seront quant à elles évidemment précisées au dernier moment.
On trouvera ci-dessous un reportage tout frais sur les flics sanitaires bénévoles qui s’introduisent dès à présent à domicile pour faire pression dans le cadre d’un dispositif expérimental parisien.
Au-delà des laisses électroniques, le suivi de masse des cas positifs et des personnes contacts qu’ils ont pu toucher va ainsi nécessiter un immense déploiement humain de milliers de flics sanitaires improvisés et labellisés, avec de réels pouvoirs de coercition (plus ou moins explicites, comme les travailleurs sociaux actuels et leurs signalements sur les pauvres, pour donner un exemple). Des milliers de petits contrôleurs armés de leur bonne conscience qui seront certainement aussi puisés dans le vivier des vautours humanitaires déjà aguerris en matière de relais de l’État pour faire passer ses pilules amères, et qu’une grande partie de la mouvance pseudo-révolutionnaire refuse inlassablement d’identifier comme des ennemis à combattre (coucou Emmaüs, Croix-Rouge, Cimade etc. etc.).]

Coronavirus : avec les équipes mobiles chargées de casser les chaînes de contagion jusqu’au sein des familles

Le Monde, 23 avril 2020

« Je déteste l’hôpital, les prises de sang… Alors qu’on me fasse un prélèvement dans la narine, ce qu’il y a de plus délicat, quelle angoisse ! » Déjà, elle n’avait « pas dormi de la nuit » après avoir appris de son mari qu’il avait vu récemment son oncle et sa tante, et que tous les deux étaient contaminés. « Notre fils aîné s’est mis à pleurer et a crié : “Papa, si tu as ramené ça à la maison… !” » Pour en avoir le cœur net, le père a appelé le centre « Covisan » de la Pitié-Salpêtrière, dans le 13e arrondissement à Paris.

Covisan, c’est le dispositif qu’expérimente l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à partir de quatre sites pilotes. Lancé mercredi 15 avril à la Pitié-Salpêtrière, il est désormais également testé à Bichat (18e) et Louis-Mourier à Colombes (Hauts-de-Seine), et depuis le 22 avril à Avicenne à Bobigny. Robert-Debré (19e) et l’Hôtel-Dieu (4e) doivent le rejoindre en fin de semaine.

Si les résultats sont jugés probants, il sera étendu à l’ensemble de l’Ile-de-France et a vocation à essaimer partout dans le pays. Il préfigure une nouvelle stratégie face à la pandémie. Les mesures de distanciation sociale et de confinement ont atteint leur limite pour endiguer la progression de l’épidémie. Il s’agit désormais de casser les chaînes de transmission en identifiant et en isolant les personnes potentiellement contaminantes – et dont l’état ne nécessite pas une hospitalisation – jusqu’au sein des familles. Une façon de préparer le déconfinement du 11 mai en évitant une deuxième flambée.

Tous sont bénévoles
Hélène, Camille et Jean François ont « mis la musique des « Experts» les premiers jours où ils ont pris la Zoé électrique pour partir en mission. Ils forment le rouage essentiel du dispositif : les équipes mobiles qui interviennent à domicile. A la Pitié Salpêtrière, trois équipes constituées de trios enchaînent les visites de 10 heures à 20 heures. Tous sont bénévoles. Camille, cadre dans l’industrie pharmaceutique, s’est inscrite à la réserve sanitaire. Jean François, « en télétravail très amenuisé dans l’informatique », a fait ses classes de secouriste à la Croix Rouge. Hélène est interne en gynécologie. Elle a reçu une formation express pour pratiquer le dépistage du Covid19 avec un écouvillon.
Le lendemain, c’était son baptême du feu chez Mme L. « Finalement, ça s’est très bien passé, on a pu prélever toute la famille. J’ai juste eu du mal à aller jusqu’au fond des fosses nasales de l’un des plus jeunes car elles n’étaient pas encore complètement formées. » Les résultats seront communiqués dans vingt quatre heures. « Surtout, vous n’oublierez pas de m’appeler, ça me déstressera ! », lance la mère de famille. Après trois quarts d’heure de discussion, elle a retrouvé le sourire et même donné son feu vert pour se faire dépister. « Ce n’était pas si terrible », concède-t-elle. Mme L. a également accepté de porter un masque désormais (« Ça m’oppresse, mais s’il faut le faire, je le ferai ») pour aller faire les courses. Après chaque visite, l’équipe laisse deux « kits » par foyer comprenant gel hydroalcoolique et quatorze masques chirurgicaux. De quoi « tenir » théoriquement pendant une semaine.
« Doit-on rester en quarantaine en attendant les résultats ? », s’inquiète cette assistante d’éducation au chômage partiel. « Non, il vous suffit de limiter les sorties et de respecter les gestes barrières », rassure JeanFrançois. Le trio a pris le temps de bien montrer comment se laver les mains, porter un masque, désinfecter les poignées de portes et les interrupteurs, insister sur l’importance d’aérer l’appartement ou de laver le linge à 60 °C, et tant pis pour les économies d’énergie. A la fin de l’entretien, le fils aîné glisse tout de même qu’il tousse un peu le soir, dans son lit, depuis quelques jours. Rien d’inquiétant pour l’équipe. Aucun autre symptôme n’a été associé. « A priori, il n’y a pas de personne à risque qui nécessite un isolement », juge Camille, qui, le dimanche précédent, était intervenue chez l’oncle et la tante malades.

S’isoler à domicile ou à l’hôtel
Par précaution, et sans présumer des résultats des tests, l’équipe explique les possibilités qui s’offrent à la famille : s’isoler à domicile (ce que permet, dans leur cas, le nombre suffisant de pièces) ou à l’hôtel. Le groupe Accor a mis à disposition trois établissements aux portes de Paris et se dit prêt à en ouvrir 300 dans toute la France. « Si, par malheur, mon mari est positif, je préfère qu’il aille à l’hôtel car le petit dernier est toujours collé à son père et ce sera la crise de nerfs si on doit l’empêcher d’aller le voir dans sa chambre », prévient Mme L.
Depuis le début de l’expérimentation, très peu de personnes ont fait le choix de l’hôtel. Un ressortissant cambodgien vivant avec ses parents de 73 ans a accepté d’être exfiltré. « Il se plaignait de courbatures et était inquiet pour ses parents qui ne respectaient pas les gestes barrières », explique Lila, une autre bénévole. Selon le protocole retenu, il devra rester sept jours dans sa chambre, dont deux sans présenter de symptômes, avant de pouvoir retourner chez lui. Au gré de leurs visites, les équipes découvrent des situations qui nécessiteraient un isolement en dehors du domicile familial mais ils se heurtent aux réalités sociales. « On a eu le cas d’une famille de cinq personnes vivant dans un studio sans fenêtre, raconte Carole qui fait équipe avec Lila. Un des membres a été hospitalisé, et tout le monde se repasse le virus. On a proposé d’isoler la maman mais on nous a opposé un grand “non : qui va faire à manger ?” ! On ne peut pas les forcer, c’est du volontariat. » L’équipe doit adapter sa stratégie. Elle considère que le foyer est « condamné » et essaie désormais de « protéger l’extérieur ». Un des fils a été testé positif mais continue à travailler « plus ou moins légalement ». Le médecin traitant de la famille a été contacté pour qu’il tente de le convaincre de cesser. La médecine de ville est un maillon essentiel à la réussite et à la généralisation de l’expérience. Les généralistes seront précieux pour assurer le suivi des malades après le passage des équipes mobiles. Pour l’heure, certains commencent à adresser leurs patients au centre Covisan. D’autres arrivent par les urgences ou après avoir appelé le SAMU.

Aurore Sousa, elle, a été identifiée à partir d’un patient passé par la Pitié-Salpêtrière. Elle est venue en voisine. Elle est gardienne d’un immeuble dans le 13e arrondissement parisien. « J’ai reçu un appel hier me demandant de me présenter car j’aurais travaillé avec quelqu’un qui a le coronavirus », dit Mme Sousa, 53 ans, « pas inquiète » et « en forme ». L’équipe qui n’est pas en visite l’installe dans la « salle d’entretien ».
« De la toux ? Non.
– De la fièvre ? Non.
– Pas de diarrhées ? Non.
– Pas de perte d’odorat ? Je n’en ai jamais trop eu. Mais si quelqu’un sent mauvais ça me dérange. »
Mme Sousa est ce que les professionnels du Covid19 appellent une personne « contact ». Elle a été en relation avec un propriétaire malade. La gardienne lui monte le courrier et les courses mais reste toujours sur le palier, assure-t-elle. Elle est arrivée avec un masque, qu’elle porte à l’envers et qui ne lui protège pas le nez. On lui montre comment l’ajuster correctement avant de lui suggérer un dépistage, qu’elle accepte (« Ça me rassurera, même si je pense que je n’ai rien »). Pas la peine, en revanche, de lui proposer un hôtel pour un éventuel isolement, Mme Sousa habite avec son mari un pavillon en banlieue de 230 m2 qu’elle désinfecte « à fond à la Javel ». Elle repartira quand même avec son kit de gel hydroalcoolique.

« On a trois mois de retard »
Parfois, les équipes Covisan sont aussi confrontées à des problématiques qui les dépassent. Ils ont identifié deux clusters dans des foyers sociaux ou de travailleurs. « Il y a un problème de transmission hallucinant avec des cas positifs qui cohabitent dans une chambre avec des migrants. On n’a pas la force d’intervention », expliquent les bénévoles. Le relais a été passé à l’Agence régionale de santé et aux organisations humanitaires.
« Idéalement, il faudrait avoir 500 équipes déployées juste sur
Paris pour parvenir à casser la chaîne des transmissions et étouffer le virus », estime Jean-Sébastien Molitor. Veste kaki, jean et barbe de baroudeur, il détonne dans le centre Covisan, installé à l’entrée de la Salpêtrière. Avec l’ONG Solidarités international, M. Molitor est intervenu en Afrique sur le front Ebola et en Haïti contre le choléra. Il met aujourd’hui son expérience au service de Covisan.
Depuis le début de l’expérimentation, une centaine de personnes sont suivies sur l’ensemble des sites pilotes dont une très grande majorité par les équipes de la Salpêtrière. « On a trois mois de retard, déplorent Hélène et Camille. Si on avait déployé cette stratégie dès le début de l’épidémie, comme l’ont fait certains pays, on aurait payé un tribut beaucoup moins lourd. Mais on manquait de masques, de gels et de tests. Et aujourd’hui, encore, on ne peut laisser que deux kits par foyer. »