Uzerche (Corrèze) : la mutinerie ravage 250 cellules

Mutinerie à la prison d’Uzerche, en Corrèze : près de 250 cellules inutilisables
Le Parisien, 22 mars 2020

Près de 200 détenus sont parvenus dimanche à prendre le contrôle d’un des bâtiments de ce centre de détention, avant que l’ordre ne soit ramené en début de soirée.
Si nombre d’établissements pénitentiaires ont connu cette semaine des incidents sur fond de crainte du coronavirus, c’est bien une « mutinerie » qui a touché ce dimanche soir le centre de détention d’Uzerche (Corrèze).

Pour la première fois depuis le début de la crise, les surveillants ont perdu le contrôle de l’un des bâtiments, le « C », qu’ils ont dû évacuer, les détenus prenant possession des coursives. C’est peu après 17 heures que plusieurs d’entre eux ont d’abord refusé de réintégrer leurs cellules. Vers 19 heures, ils étaient près de 200 à évoluer en liberté dans certaines zones de l’établissement. Une quarantaine d’entre eux sont parvenus à monter sur les toits, dont ils ont été rapidement délogés.

Plusieurs départs de feu ont été enregistrés, notamment via des matelas brûlés. Selon nos informations, un détenu ayant inhalé des fumées a dû être hospitalisé. Jusqu’au coucher du soleil, un hélicoptère de la gendarmerie a survolé la prison, alors qu’une dizaine de fourgons de gendarmes mobiles convergeaient sur les lieux afin de ramener l’ordre au côté des ERIS, les équipes spécialisées de l’administration pénitentiaire.

250 cellules rendues inutilisables

Vers 22 heures, une dizaine de mutins devaient encore être évacués du bâtiment concerné. Selon plusieurs sources, dont le syndicat FO, ce sont près de 250 cellules qui ont été rendues inutilisables, ce qui va nécessiter toute la nuit des extractions de détenus vers d’autres établissements de la région Aquitaine. « La crainte du coronavirus et la suppression des parloirs ont joué, mais il y a aussi une forme de challenge entre détenus et établissements visant à tout casser », analyse Thierry Not, secrétaire adjoint régional du syndicat Ufap-Unsa.

Si des mouvements, d’une ampleur moindre, avaient déjà été enregistrés au cours des dernières années à Uzerche, les observateurs s’attendaient plutôt à ce qu’ils soient enregistrés cette fois dans d’autres établissements du grand Ouest. « Le profil des détenus d’Uzerche reste très hétéroclite, note Thierry Not. Beaucoup sont jeunes, et proviennent de nombreuses régions de France, de Lyon à Montpellier en passant par Toulouse. »

600 détenus

En tant que centre de détention, Uzerche accueille près de 600 détenus déjà condamnés, à une peine au minimum de deux ans de prison. « Un certain nombre de ces détenus ont pu être reversés dans les cellules des étages non touchés, expliquait ce dimanche soir une source pénitentiaire. Les leaders de ce mouvement et les casseurs ont été identifiés. » Selon cette même source, alors que les gendarmes assuraient la sécurité « périmétrique », « il n’y a pas eu de risque d’évasion. »

Plus tôt dans la journée, d’autres mouvements de grogne des prisonniers avaient touché un certain nombre d’établissements à travers la France, mais d’une intensité nettement moindre que les événements s’étant produits à Uzerche. À chaque fois, il s’agissait de refus de réintégrer les cellules, qui tous ont cessé dans le calme à l’arrivée des ERIS. Excepté à Maubeuge (Nord), où celles-ci ont essuyé des jets de projectiles.


Confinement : bilan de la violente mutinerie à la prison d’Uzerche
France3 Nouvelle Aquitaine, 23 mars 2020

Les surveillants pénitentiaires venus en renfort ne sont rentrés chez eux qu’à 7h ce lundi. Toute la nuit, ils ont oeuvré avec les forces de l’ordre appelées à maîtriser la mutinerie qui s’est déclenchée vers 16h30 ce dimanche 22 mars. Bilan : deux bâtiments hors d’usage et 333 détenus transférés.

Il n’a jamais vu ça de toute sa carrière et même des collègues qui ont 30 ans d’expérience disent n’avoir jamais vécu ça. Dimitry Frère est l’un des surveillants pénitentiaires appelés en renfort en fin d’après-midi ce dimanche 22 mars. Comme l’ensemble de ses collègues des établissements pénitentiaires dépendant de la DISP – Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires – de la Nouvelle-Aquitaine, il a reçu sur son portable un sms de ralliement sur le centre de détention d’Uzerche, pour prêter main forte à leurs collègues sur place. Les gendarmes et les ERIS, équipes régionales d’intervention et de sécurité qui sont des unités d’intervention de l’administration pénitentiaire, sont rapidement intervenus également. Une opération  de maintien de l’ordre sous le contrôle de la préfecture de la Corrèze.

« C’était des scènes de guerre » souligne Dimitry Frère, syndicat UFAP UNSA Justice. « En plus des destructions, le feu a brûlé deux bâtiments, 12 détenus ont été intoxiqués et hospitalisés par les Pompiers et le SMUR, 10 sont sortis mais deux le sont encore. On n’a aucun blessé de notre côté ni de celui des forces de l’ordre qui sont arrivées, c’est une chance« .

Une mutinerie qui a démarré vers 16h30, à la fin d’une promenade

Il était aux environs de 16h30 quand quelques détenus ont refusé de rentrer après la promenade. « Ils ont très vite arraché une poutre dans la cour pour se servir de bélier et défoncer les portes des deux bâtiments C et D du centre de détention. Ils ont mis le feu, détruit les couloirs, nos bureaux, le bureau du directeur, tous les dossiers des détenus ont brûlé, la partie informatique a explosé… ces deux bâtiments sont totalement aujourd’hui détruits. Il va falloir un à deux ans de boulot pour tout reconstruire. Ce qui veut dire qu’on va vraisemblablement être déplacés dans les semaines à venir sur d’autres centres de détention ou maisons d’arrêt de la Nouvelle-Aquitaine, puisque l’intégralité de notre effectif sur Uzerche ne sera plus justifié » poursuit Dimitry Frère

Les meneurs se sont filmés avec leur portable et ont diffusé des vidéos sur les réseaux sociaux, type snapchat. Ils sont même identifiables. Ils sont cinq ce lundi 23 mars susceptibles d’être poursuivis en comparution immédiate. Ce sont au total 88 détenus, par effet boule de neige, qui se sont retrouvés en mutinerie, notamment sur le toit du centre de détention, criant des propos haineux à l’intention du personnel pénitentiaire.

Les forces de Gendarmerie corréziennes (Communauté de Brigades et Peloton Motorisé de Uzerche, COB de Lubersac et de Donzenac, PSIG de Brive) et les forces ERIS ont pu maitriser les détenus en liberté aile par aile. Ils ont dû faire usage de grenades de désencerclement et de tirs de balles en caoutchouc. Un seul détenu a été blessé par un tir. Rappelons que 550 prisonniers sont en cellule au centre de détention d’Uzerche. Les surveillants pénitentiaires passaient dans la foulée des premières interventions pour contenir immédiatement en cellule les prisonniers. Les interventions se sont prolongées jusqu’au début de la nuit. Un appel nominatif a ensuite été fait pour vérifier l’absence de toute évasion.

Sur les 88 détenus en liberté pendant la mutinerie, 83 ont été déplacés dans la nuit vers l’ensemble des établissements dépendant du DISP Nouvelle-Aquitaine, soit de Poitiers à Pau, en passant par ceux de Neuvic et Mont-de-Marsan. 250 prisonniers vont l’être dans la journée vers les autres centres de détention de France, comme Paris, Lyon etc.

Comme nous le soulignions dans notre article de vendredi 20 mars, en application des mesures prises en raison du confinement et de la crise sanitaire du covid-19, les parloirs notamment ont été supprimés avec les familles. La tension est donc montée d’un cran ce week-end et les mouvements de contestations, comme à Limoges et Uzerche, se sont multipliés ce dimanche un peu partout en France : Maubeuge, Longuenesse, Meaux, Nantes, Carcassonne, Moulin, Rennes, Saint-Malo, Nice, Fleury-Merogis.

A l’annonce de la suppression des parloirs, la Chancellerie décidait parallèlement la télévision gratuite pour tous les prisonniers, un crédit de quarante euros de bons pour permettre à chaque détenu de téléphoner deux heures par semaine avec leur famille contre une durée de parloir hebdomadaire de 45 minutes, et un crédit identique pour permettre aux plus démunis de cantiner. Leur indemnité a par ailleurs doublé et le nombre des plus démunis a été augmenté. Dans le cadre de la loi sur l’état d’urgence sanitaire, la Garde des Sceaux Nicole Belloubet a par ailleurs annoncé qu’elle étudiait les sorties de détenus malades (d’autres pathologies que le coronavirus), « et de détenus auxquels il reste moins d’un mois de détention à faire» comme elle l’a confié sur France TV Info.